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samedi 27 février 2016

Anniversaire de la Déclaration d'indépendance du Bas-Canada - Quelle signification pour nous aujourd'hui ?

À la veille de l'anniversaire de la Déclaration d'indépendance du Bas-Canada, je prends quelques moments pour réfléchir à cet épisode de notre histoire qui à mes yeux conserve une symbolique et une valeur politique insuffisamment retenue dans notre Québec du «Je me souviens».

J'écrivais en 2002, un commentaire peut-être trop élogieux sur l'événement, en tout cas insuffisamment critique, il me semble aujourd'hui.(1) Mais, me dis-je, il ne faut pas critiquer trop sévèrement les manifestations d'indépendance ouvertement déclarées, surtout quand elles ont cette virilité d'antan qui n'a plus court, soit celle de l'avoir fait «les armes à la main». Car à ma connaissance, il n'y en eut que trois. Celle des Canadiens et de Vaudreuil en 1759-60, celle de Louis Riel et celle dont je parle, qui nous livra un message politique encore d'une certaine pertinence, sur lequel il nous est utile de méditer encore aujourd'hui. (2)

Mes sentiments aujourd'hui, si je devais nuancer mon hommage à ceux de Noyan et à leur Déclaration d'indépendance, seraient de dire que leur action fut teintée d'un volontarisme poussif qui n'avait pas le poids de cet assentiment populaire qui rend un mouvement irréversible. Le «mystère de Québec» existait déjà en 1838! On passa outre. Au final, la répression brutale des courageux sacrifiés et de leurs supporteurs provoqua une sorte de «stupeur et tremblement», titre d'Amélie Nothomb qui me semble convenir pour le cas, provoqua le black-out de la mémoire collective pendant cent ans. Leur épopée ne regagna une maigre place dans l'histoire que plus tard, petit à petit. Mais qui chez nos républicains se formalise que notre république a déjà été proclamée ?

Ces idées me sont inspirées par la situation du moment, où la volonté d'avancer vers l'indépendance ne représente plus, par certains aspects, que le volontarisme poussif de ceux qui, désarmés, ne réalisent pas que la population a déjà donné dans le «morinisme» qui l'a dépitée, et ne les suit plus. Et je pense à l'État colonial qui s'obstinait à refuser aux Canadiens de l'époque le pouvoir des élus et je me rends compte qu'aujourd'hui, l'État du Québec est aux mains des prédateurs et des imposteurs. Le pouvoir a muté dans ses formes mais les patriotes d'une nation, plus forts sur les grands élans que rusés à mettre l'adversaire échec et mat, en sont toujours les exclus.

Pour certains, ce que dit Jean-Claude Pomerleau est du charabia, en vérité ce sont des vérités toutes simples. Sans la construction graduelle d'un rapport de force en notre faveur, et il nous faut repartir hélas du bas de l'échelle, les grands projets seront systématiquement tenus en échec. L'histoire future en pensera peut être autrement, mais en ce qui me concerne aujourd'hui, la Déclaration d'indépendance du Bas-Canada, autant qu'elle m'émeut, ne procédait pas d'un rapport de force favorable, du moins à l'interne, car à l'externe les indépendances dans les deux Amériques se succédaient alors dans la réussite. Le rapport de force interne sera toujours déterminant sur les conditions externes, même si ces dernières peuvent jouer dans un sens favorable.

__________________
1. http://vigile.net/archives/ds-patriotes/docs/02-2-26-verrier.html
2. http://www.1837.qc.ca/1837.pl?out=article&pno=document62


vendredi 19 février 2016

De la guerre d'indépendance au Québec


Le calvaire du Canada anglais : nous traiter en égaux
De la guerre d'indépendance au Québec



Avec cette sixième chronique, je poursuis les échanges entamés avec ceux qui me suivent sur ce fil.



Tout récemment M. Normand Paiement, appelait de ses voeux «une thérapie collective» qui  «doublée d’une modification radicale du message véhiculé jusqu’ici par les nationalistes permettra de mettre définitivement le cap sur le pays du Québec...»(1)



L'idée du renouvellement du message refait périodiquement surface comme un moyen d'exorciser le sentiment d'insuccès qui suit les nationalistes comme leur ombre. Cette idée n'est pas sans séduire, mais le défi se heurte toujours à l'incapacité de dépasser les vœux pieux. Admettons que le «renouvellement» peut devenir angoissant pour un mouvement peuplé de têtes grisonnantes, attachées à un récit bien assimilé qu'ils peinent à reconsidérer. Mais tôt ou tard, pour refaire de la cohérence, on se trouve forcé de poser un second regard sur une tranche d'histoire à la lumière des résultats obtenus. C'est un peu le «contrôle de la qualité» qui se pointe pour comparer le devis des acteurs du passé avec le produit fini. Le «révisionnisme» est le terme consacré qu'on emploie, un terme sans connotation particulière au départ, pour désigner l'exercice d'actualisation du récit. Or la «modification radicale du message», qu'on peut s'amuser à relier à la «saison des idées» de Bernard Landry et à d'autres saillies du même genre, peut-elle vraiment émerger sans retourner toutes les pierres de nos certitudes ?

Prenant au mot M. Paiement, je mets la main à la pâte pour y aller de mon petit essai révisionniste. Je vais tenter de montrer comment de probables thérapeutes du collectif qui s'étaient présentés à nous, néo-français du Québec, «doublé(s) d'une modification radicale du message» ont été renvoyés aux oubliettes par ceux qui «n'ont … eu de cesse de chercher à plaire (ou du moins à ne pas déplaire) à l'envahisseur britannique», dans «l'espoir – vain – que les ¨Anglais¨ vont un jour nous aimer et nous respecter. »(2)



De Gaulle :ou quand l'État se présente là où on ne l'attend pas
Pour ceux qui ont lu ma dernière chronique, on me permettra de revenir sur l'Appel du général de Gaulle du 18 juin 1940, (3) on verra plus loin que ce n'est pas sans intérêt. Aux alentours de cette date, l'État français s'installait à Vichy sous l'autorité du Maréchal Philippe Pétain qui avait demandé de signer l'armistice avec l'Allemagne nazie. La déroute de l'armée française qui laissait des pertes considérables en vies humaines avait provoqué la stupeur générale. Il ne restait pour la France d'autre voie que de mettre fin aux hostilités dans l'humiliation. Le gouvernement ne siégerait plus à Paris ville occupée, mais à Vichy, dans le Sud, épargnée de l'occupation par la Wehrmacht.



Charles De Gaulle, un colonel qui avait fait sa marque comme officier de chars, fraîchement promu général, n'avait ni l'autorité politique ni l'effectivité sur la patrie qu'il quittait lorsqu'il franchit la Manche, ne tenant ni Paris ni Vichy, au moment de livrer son fameux Appel. Il usa de toute la force de sa notoriété et fit preuve d'une grande ténacité pour obtenir une forme de reconnaissance officieuse de la Grand-Bretagne qui l'autorisa à parler sur les ondes de la BBC et à organiser la résistance.



En dépit de toutes les circonstances décourageantes dont il héritait et de la plus grande incertitude quant à l'avenir, Vichy l'avait condamné à mort et déchu de sa nationalité, il réussit à s'imposer comme le chef de la résistance et graduellement, avec les Forces de la France libre, il finit par atteindre de facto le statut de chef d'État concurrent de Vichy, puis de toute la France. Il aura fallu cinq ans dans les aléas de la guerre pour que la France insoumise qu'il avait choisi d'incarner s'impose. Par la puissance de son message politique idoine, un geste téméraire s'était trouvé transformé en légitimité et en effectivité étatiques incontestables.



Même si la comparaison a ses limites quand on la ramène au Québec, l'exemple tient la route pour illustrer mon propos. Savoir que la question de l'État, élément structurant par excellence de la nation et qui lui donne son existence, ne se présente pas nécessairement sous la forme qu'on l'attend. L'État du Québec, qu'on présume à Québec, au parlement, constitué par l'autorité et les actes de l'Assemblée nationale, pouvait-il se présenter autrement en 1995? Selon moi, il aurait très bien pu se présenter sous la forme incarnée de son premier ministre, chef du camp du oui et première figure de l'État.



S'il est indispensable de recentrer les efforts d'indépendance dans l'État du Québec avec l'exercice de la souveraineté dont il dispose déjà sans l'utiliser pleinement, il faut aussi admettre que celui-ci, dès qu'il voudra étendre le domaine de son indépendance, ne pourra jamais prétendre affronter l'État d'en face dix fois plus puissant avec une égalité de moyens. Autrement dit, le combat du Québec ne pourra jamais se faire à armes égales avec l'État fédéral. Le Québec sera donc obligé de recourir aux moyens de la «guerre asymétrique» pour avancer s'il veut un jour prévaloir. Prenons garde aux termes. Guerre asymétrique ici ne peut être qu'une lutte pacifique. Une lutte déterminée mais prudente, sachant que pratiquement tous les épisodes de violence qui ont ponctué notre histoire, incluant les événements de 1837-38, ne se produisirent qu'à la suite de provocations, sous l'initiative et dans l'intérêt de l'État d'en face et se soldèrent tous par des reculs considérables en ce qui nous concerne. (4)
   
Entre le Québec et le Canada, ce sera toujours une lutte de David contre Goliath. Une lutte dont l'issue est incertaine, comme celle qu'entama de Gaulle le 18 juin 1940. Une leçon de notre histoire c’est que les coûts de l'échec sont toujours très lourds, la leçon demande à un chef d'État d'apprendre à saisir toutes les occasions pour faire rebondir le Québec sur ses pieds avec un sourire gavroche s'il le peut, là où les circonstances sont contraires, comme là où le fédéral ne l'attend pas. Des coups d'audace ne peuvent être exclus, et il y a même des moments où ceux-ci apparaissent incontournables. Dans certaines circonstances, les forces d'émancipation politique du Québec ne peuvent échapper à la résistance au prétexte que les formes dans lesquelles celle-ci les convoque ne font pas l'affaire. Ce qui veut dire que toute autre voie, incidemment celle de la démission spectaculaire de 1995, ne pouvait que nous faire encaisser un recul supplémentaire après celui qui nous avait déjà fortement ébranlé en 1980.



Du politicien et de l'homme d'État
Quand il a décidé de tenir le référendum de 1995, la préparation des forces du oui en témoigne, il était clair pour le PQ qu'il ne partait pas en guerre. Il partait en campagne pour que les Québécois se disent oui à eux-mêmes; armé d'une formule référendaire vertueuse, démocratique et sans tache... presque du «Sancho : mon épée, mon armure...», pour aller dans le lyrique sinon le pathétique.  



Certes, à l'opposé, le Canada est en guerre larvée perpétuelle contre nous. Mais il fallait qu'on continue de s'interdire d'en faire mention ou d'en tenir compte. Mieux valait faire la guerre des «Nous contre les nous», une sorte de guerre des tuques pour adultes. Bref, même s'il ne le savait pas (ou ne voulait pas le savoir), le Parti québécois, en déclenchant la campagne référendaire procédait à l'ouverture de nouvelles hostilités avec notre ennemi séculaire. Or, dans une quête d'indépendance qui s'inscrit dans un long fil d'opposition entre adversaires de taille inégale, tout engagement, même si on peut à juste titre aujourd'hui qualifier l'idée même de cet engagement de mal avisée au départ, ne permet pas une fois le train en marche de l'arrêter avant d'en être absolument contraint, avant d'avoir épuisé toutes ses munitions sous peine de dommages additionnels à notre fragile confiance nationale.



La stratégie référendaire est dès lors apparue funeste dans cette frivolité d'avoir misé le destin d'un peuple sur un événement politique artificiel, sorti de nulle autre part que du pur et simple volontarisme politique. D'ailleurs, n'est-il pas présomptueux de croire que la nation dominée peut choisir délibérément et à son avantage le théâtre de l'engagement? Il est permis d'en douter. C'est pourquoi le référendum par son intention de trancher, par sa solennité de l'irrémédiable, excusait d'avance les chefs politiques de ne pas rebondir dans l'esprit de la guerre larvée prolongée, asymétrique et d'intensité variable. En stratégie militaire, faire dépendre toute la guerre de l'issue d'un seul combat est une faute gravissime. Le résultat s'est soldé par le renforcement de «la fatalité du destin» entériné par «notre» passage au vote. Le combat référendaire était «égocentré» dès le départ : «se dire oui à nous-mêmes» excluait d'entrée de jeu de cibler le principal protagoniste et excluait d’évoquer le poids du rapport de subordination de nation à nation, comme le discours de clôture et la suite des événements l'illustrèrent de nouveau.   



Avec son discours de clôture de 1995, Jacques Parizeau se situait dans la politique, par contraste avec la possible mais rare grandeur de l'homme d'État. Accidentellement, il révélait au monde comme à nos adversaires que nous n'étions pas pour être les pitbulls de notre indépendance. Entre 1961 et 1987, le nombre de psychologues en pratique privée est passé de 179 à 680 par 1 000 000 habitants (Pour remplacer 150 prêtres séculiers/ 100 000 en 1961 au plus fort de leur présence, dans le «priest ridden Quebec»), sans que le taux de suicide ne prenne une courbe descendante. (5) Avec ça, les Québécois, les hommes, saupoudrés d'un peu de féminisme, ont appris le lâcher prise. Les Québécois, soyons nous-mêmes, éprouvent beaucoup de difficulté à vivre une situation politique tendue. Ils préfèrent même ne pas la voir venir, espérant, toujours à tort, ne pas avoir à l'affronter. Entre le «continuons le combat» et le «lâcher prise», ce dernier aura prévalu.

Dans le fil de la thérapie qui nous est ci-haut recommandée, j'en arrive à croire qu'il nous faut méditer sur la cause de notre indulgence, voire de notre admiration pour des chefs qui échouent alors que d'autres nations ne vénèrent que les vainqueurs. Nous sommes probablement très indulgents envers nos chefs car nous nous identifions à leur défaite. Familière, elle suscite chez nous plus de sympathie que de rage. Et comme Dollar des Ormeaux était un vainqueur, depuis la Révolution tranquille on a chipoté, il n'est plus montrable.  



La Révolution tranquille et le désenchantement
Les chefs politiques du XXè siècle qui ont le plus contribué à donner confiance à la nation québécoise sont Jean Lesage et Daniel Johnson, auxquels il faut ajouter le mal-aimé Maurice Duplessis.(6) Ces trois chefs d'État, en partie sous l'influence d'une élite intellectuelle à la tête de laquelle figurait Lionel Groulx, nous ont fait graduellement évoluer vers une perception plus positive de nous-mêmes. Ils nous ont donné le goût d'entreprendre grâce à leurs francs succès aux commandes de l'État. Il faut dire en toute justice que la situation économique de l'après guerre les favorisait dans leur volonté de rénover et d'innover, sans parler du consensus national qui convergeait en faveur de l’instrument étatique. Mais ne le cachons pas, une partie de la mise à niveau de ces années là et de celles qui suivirent a consisté dans l'américanisation accélérée de nos mœurs, dans laquelle l'État s'est vu lui-même transformé. On a assisté à la mise en place d'une technocratie standardisée à l'aune des prescriptions anglo-saxonnes, ce qui préparait le terrain pour l'intégration continentale ultérieure (ALENA – NORAD) et mondiale (TAFTA – OTAN) au son de la musique anglaise et du cinéma d'Hollywood. Cette intégration culturalo-militaro-économique, qui s'appropriait au passage une partie de la souveraineté nationale, ne pouvait s'accomplir que par la destruction des résistances traditionnelles au monde anglo-saxon, lesquelles étaient intégrées dans la pratique religieuse catholique et son pouvoir conséquent. En partant de sa base évangélique, il s'agissait d'une doctrine du partage, réservée sur le mercantiliste à tout crin, plus en harmonie dans ses fondements avec ce qu'on appellerait aujourd'hui le «monde durable», noircie à gros traits, cette «infamie» devait disparaître.



En fait, la Révolution tranquille a été marquée par une double et contradictoire influence. Celle de la prise en main nationale préparée de longue date par Lionel Groulx, épurée peu à peu de la foi religieuse; et celle de l'ouverture au renforcement de l'influence anglo-saxonne, modérée par la faveur du Québec pour le maintien des programmes sociaux (jusque là largement assumés par les communautés religieuses) et pour des initiatives économiques originales. Une partie de l'historiographie aura tenté de faire une synthèse de la Révolution tranquille en la présentant sous la forme d'un «rattrapage» et d'une «modernisation». Une caractérisation qui reste trop générale car elle s'applique à l'ensemble du monde occidental de l'après guerre. D'ailleurs, on pourrait aussi bien caractériser l'époque comme celle de l'américanisation du Canada, de l'Europe, du Japon, etc. Le Québec ne peut se distinguer que par d'autres traits que sont des affirmations telles que le «maîtres chez-nous» de Jean Lesage et de Duplessis et «l'égalité ou l'indépendance» de Daniel Johnson. L'ensemble est relativement contradictoire mais il a tenu grâce à une augmentation importante des moyens de l'État à partir de 1954, attribuables aux impôts récupérés du fédéral par Duplessis et à sa prudence financière, maintenant la dette publique au plus bas, un cadeau à ses successeurs. Mais en rétrospective, l'américanisation culturelle du Québec aura mieux réussie, y compris pour la montée de son influence dans l'appareil d'État, que pour accroître la marge de notre indépendance. Mesurée à l'aune de l'indépendance, la Révolution tranquille est un échec. La gloire à l'individualisme forcené facilitée par la dévastation des structures traditionnelles, la soumission générale aux effets de mode et au dieu de la consommation, à quoi s'ajoute plus récemment la «dictature des minorités», ébranlent la cohésion même de la nation. Mais à l'époque des années 1955 à 1965-70, les plus importantes de la Révolution tranquille, l'opinion publique suivait ses chefs, c'est incontestable. Et toutes ces transformations, qu'on aime ou pas, auront été vécues par la jeunesse comme un appel d'air assez irrésistible.   



Le contexte économique des années Lévesque, Bourassa, Parizeau était déjà moins favorable. Sur le plan politique c'est le déclin de l'optimisme. Bourassa qui nous aura amené à plus de 60% de soutien en faveur de l'indépendance, dans le cadre d'une épreuve de force d'État à État, il faut le rappeler, aura ensuite retourné sa veste. C'était prévisible. Ce fut sa part du désenchantement. Mais pour les palmes du désenchantement, ce sont les référendums des gouvernements Lévesque et Parizeau qui les remportèrent. Risquer le renversement d'une tendance positive patiemment élaborée, qui prenait sa source dans les années 30, ne peut être attribué à nul autres. Ils auront fabriqué le plus d'espoirs déçus. Ils nous auront lancés dans deux aventures référendaires à courte vue, exposant le Québec, qui avait commencé à connaître le goût du succès, à l'humiliation dans deux défaites catastrophiques. Pour aller chercher ça plus loin, à la façon Maurice Séguin, ils auront renforcé les effets de la Conquête et de la subordination sur place.



La «nouvelle souveraineté» et le déni du rapport de domination – ou comment avorta notre thérapie collective
Au tournant des années soixante, l'idée de l'indépendance était en plein essor. Cette idée progressait grâce à la synthèse originale du rapport historique Canada-Québec rendu limpide par l'historien Maurice Séguin. Mais l'idée était aussi inspirée par la décolonisation en Afrique et en Asie, dont les succès étaient d'actualité. Les livres de Frantz Fanon, Albert Memmi et autres circulaient à Montréal. Sur le plan politique arrivent Marcel Chaput, André d'Allemagne suivis de Pierre Bourgault avec un discours décomplexé qui porte un regard jusque là inédit et sans complaisance sur notre réalité qu'ils qualifient de coloniale. Ils n'hésitent pas à faire le procès du Canada et en particulier celui du fédéralisme.



Avec cette nouvelle garde, jeune et articulée, le rapport de force entre deux nations pour leur prépondérance au Québec est rendu explicite et plus transparent que jamais. Dans ce sens, on peut dire que la vision des choses qu'ils mettaient de l'avant, leur analyse du national, se situait dans le prolongement naturel de l'esprit de la Révolution tranquille phase 1, en poussant à ses aboutissements les espoirs qu'avait commencé d'autoriser la période des Duplessis, Lesage et Johnson, une aspiration à l'indépendance qui apparaissait déjà dans des mémoires soumis à la commission Tremblay (1953-56)  (7).



Or qu'est-il advenu de cette tendance? Elle qui apparaissait un temps, en fait jusqu'à l'arrivée du PQ, comme la plus porteuse et la plus dynamique? Cette tendance qui amenait une «modification radicale du message véhiculé jusqu’ici par les nationalistes»? Elle est disparue, renvoyée aux oubliettes, phagocytée par deux courants. Le premier qu'on peut facilement situer à gauche, et l'autre plus difficile à épingler et plus coriace, mais qu'on pourrait qualifier de courant des souverainistes envoutés psychologiquement par un Canada idyllique. Je m'abstiendrai d'élaborer ici sur l'indépendance mise sous condition du socialisme, me contentant d'en rappeler l'existence dès le Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN).
  
Le Canada idyllique ou lorsque le réel passe en jugement devant l’irréel
Le deuxième courant, le plus important pour mon propos, est apparu à la faveur d'une scission au sein du parti libéral menée par René Lévesque, à qui Jacques Parizeau se joignit plus tard. Ces nouveaux venus s'imposeront rapidement par la notoriété de René Lévesque qui rendait possible une percée, voire une victoire électorale. Cette tendance sera vite prépondérante. Elle écartera comme des brebis galeuses le courant représenté par les D'Allemagne, Bourgault, etc. lesquels se laissèrent marginaliser après avoir vainement tenté de figurer au sein de la coalition souverainiste avec leur lecture de la problématique nationale, mais leur lecture était interdite. En fait, Chaput est mort, D'Allemagne est retourné à la vie privée et Bourgault a bataillé longtemps pour qu'on lui reconnaisse une place, mais la porte lui a toujours été fermée.



Avec les années Lévesque vient donc un grand malaise. C'est de faire la souveraineté du Québec à l'intérieur du Canada, avec son consentement, en comptant sur la bonne foi de «nos amis et partenaires». Des partenaires difficiles, dirait-on, mais qui nous donneront nos droits sur présentation d'une preuve de volonté populaire. Pour qui aime les choses claires, le malaise tient au fait que cet échafaudage est basé sur une grossière imposture. Le Canada est pingre. Il refuse nos droits comme il les a toujours refusés. L'histoire de sa relation avec les néo-français-acadiens-canayens-québécois-indigènes en atteste. Avec les années Lévesque, nous sombrons dans le déni élevé au niveau de la doctrine. On ne veut pas savoir que la simple évocation de la souveraineté du Québec provoque l'aversion de l'élite anglo-saxonne suprémaciste. Ne sommes-nous pas ici en compagnie de ceux auxquels fait allusion Monsieur Paiement, ceux qui «n'ont … eu de cesse de chercher à plaire (ou du moins à ne pas déplaire) à l'envahisseur britannique», dans «l'espoir – vain – que les ¨Anglais¨ vont un jour nous aimer et nous respecter. »



Nous touchons là les fondements politiques et idéologiques du «référendisme» : une méprise entretenue sur la nature du Canada. Le refus dans l'idée des «souverainistes envoutés» de tenir compte du rapport de domination, de la volonté du Canada de garder, éventuellement par la force, le Québec dans le Canada jusqu'à l'achèvement de sa «canadianisation» complète. Disparaît donc non seulement du décor, si ce n'était que ça! mais pire, du sous bassement analytique, tout le dispositif intellectuel permettant de faire le procès du fédéralisme. Ceci se produira en faisant disparaître du vocabulaire tous les mots qui servaient à décrire le rapport de domination, en commençant par le mot «indépendance» lui-même. Ainsi, toute référence la moindrement soutenue au rapport de force et de domination, à la libération, au colonialisme, au combat contre un adversaire redoutable et à la nécessité de s'y préparer, ne serait-ce que psychologiquement, sera désormais malvenue. Tout réel qui pourrait déplaire est évacué pour plaire à l'Anglais. Dans ce Québec rêvé, l'antagonisme de nation à nation n'existe plus. Il fait place à la souveraineté positive :  convaincre les Québécois quant à «l'aspiration normale d'un peuple normal», les convaincre en faisant un pas de coté, soit par «la preuve de la viabilité économique du Québec souverain», représenté comme le plus gros obstacle. Les années Lévesque-Parizeau sont des années de déni et j'ose le dire, de censure et d'auto-censure, afin de garder silence sur les aspects les plus dangereux du Canada en ce qui nous concerne. Il s'agit d'un système (le système du souverainisme envouté par la prétendue supériorité morale et démocratique du Canada) taillé sur mesure pour blâmer le peuple québécois de se dire non à lui-même pendant qu'il excuse le Canada de l'avoir menacé et de l'avoir triché. André D'Allemagne écrira «La lutte de libération prend l'air d'une querelle intestine de la société dominée, querelle dont le dominateur reste apparemment absent...» (8) Ce courant agira donc politiquement de manière à préserver une image idyllique du Canada.

J'ignore si les indépendantistes décomplexés (Chaput, D'Allemagne, Bourgault) auraient fait preuve de plus de sagesse si ils avaient prévalus contre René Lévesque, je n'en sais rien. Certains aspects de ce qu'ils ont laissé a vieilli, mais il faut leur reconnaître le mérite d'avoir défendu l'indépendance avec un soucis nettement plus grand de la vérité du rapport Canada-Québec que leurs successeurs. Ils disposaient d'un atout majeur, une analyse qui colle au réel quand vient le temps d'élaborer la stratégie. Un atout dont on constate douloureusement l'absence avec l'échec historique du Parti québécois. Pour revenir puissamment aux affaires de l'État avec une crédibilité retrouvée le Parti québécois devra prendre ses distances avec son passé.
_________________________
2. ibid.
4. J.-C. Pomerleau résume avec beaucoup d'à-propos, les troubles de 1837-38 nous valurent l'Acte d'Union. Le référendum de 1980 la Constitution de 1982. On pourrait rajouter que la défaite de 1995 nous donna la campagne de propagande des commandites et une morosité dont on peine encore à surmonter.
6. ibid.
7. ibid. Voir le document 6


mardi 16 février 2016

Duplessis et la révolution tranquille

À propos du duplessisme et de la révolution tranquille


Document 1

Jean-Claude Dupuis la Révolution tranquille a eu plus d'effet sur notre identité que la Conquête» 

«La Révolution tranquille (1960-1970) est le mythe fondateur du Québec contemporain. Le terme «mythe» doit s’entendre ici au sens d’un récit symbolique, fondé sur une certaine réalité, mais qui porte une vision du monde et des valeurs universelles. Selon l’historiographie dominante, la Révolution tranquille aurait été un mouvement de modernisation et de démocratisation de la société québécoise. Le Québec serait alors sorti de la Grande Noirceur duplessiste pour s’ouvrir au monde. C’est l’acte de naissance d’un nouveau peuple, les Québécois : un peuple nord-américain, libéral et francophone, qui aspirait à l’indépendance au nom du nationalisme territorial. Rien à voir avec les anciens Canadiens français, qui fondaient leur nationalisme ethnique sur la foi catholique et la culture française classique. La Révolution tranquille a changé l’âme de la nation qui habitait la vallée du Saint-Laurent depuis le XVIIe siècle. Du point de vue identitaire, elle a eu un impact plus considérable que la Conquête anglaise de 1760.

Pour saisir la nature de ce changement, il suffit de comparer la description de la culture canadienne-française dans le Rapport Tremblay (1956) avec celle de l’espace identitaire québécois dans le Rapport Bouchard-Taylor (2008). Le Québec était, en 1956, un peuple français fondé sur la foi chrétienne; il était devenu, en 2008, un espace interculturel fondé sur les droits de la personne.
«La culture canadienne-française est, en effet, une forme particulière de l’universelle conception chrétienne de l’ordre et de l’homme. La France de tous les temps, surtout celle des débuts du Canada, est une des réalisations les plus authentiques de la conception chrétienne de la vie et de la civilisation. C’est pourquoi né français, le peuple canadien est né chrétien, et c’est pourquoi dans la mesure où, au long de l’histoire, il a vécu en profondeur sa culture d’origine, il s’est affirmé peuple d’esprit chrétien. Quant au génie français (…), on reconnaît généralement qu’il est du type rationnel, enclin au raisonnement. (…) La culture canadienne-française, variante américaine du type originel [français], est [qualitative, spiritualiste, personnaliste et communautaire].» – Rapport Tremblay (1956)

«L’identité héritée du passé canadien-français est parfaitement légitime et doit survivre, mais elle ne peut plus occuper à elle seule l’espace identitaire québécois. Elle doit s’articuler aux autres identités présentes dans l’esprit de l’interculturalisme, afin de prévenir la fragmentation et l’exclusion. Il s’agit, en somme, de nourrir de symbolique et d’imaginaire la culture publique commune, qui est faite de valeurs et de droits universels, mais sans la défigurer. (…) C’est un apprentissage difficile qui a commencé dans les années 1960 et qui, visiblement, n’est pas encore achevé.» - Rapport Bouchard-Taylor (2008)»

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«Selon l’historiographie officielle, le Québec de 1960 accusait un retard sur l’Ontario en matière d’éducation. Plusieurs auteurs affirment ou laissent entendre que c’était à cause de «l’obscurantisme» du clergé catholique, qui dirigeait alors le système scolaire, tant public que privé. Ce fait est contestable et il devrait être réétudié par des historiens moins biaisés par les préjugés anticléricaux issus de la Révolution tranquille. Si le Québec avait un retard éducationnel en comparaison de l’Ontario (et ce fait reste à prouver), c’était probablement à cause de son retard économique par rapport à une province qui a toujours été l’enfant chéri du gouvernement fédéral, et non pas à cause du caractère catholique de son système d’éducation. D’ailleurs, le Québec avait fait d’énormes progrès éducatifs sous le régime Duplessis. En 1959, les écoles primaires étaient de bonne qualité et largement accessibles, ce qui n’était le cas en 1936. Les Allemands venaient étudier le fonctionnement de nos écoles de métiers pour réformer leur propre système scolaire. Nos collèges classiques suscitaient l’admiration des Américains pour leur haut niveau culturel. Les universités étaient en pleine croissance. L’Université Laval a ouvert son nouveau campus à Sainte-Foy en 1952; l’Université de Sherbrooke a été fondée en 1954; l’Université de Montréal a créé un grand nombre de facultés et de départements nouveaux dans l’après-guerre. Les écoles normales de ce temps formaient sans doute de meilleurs enseignants que les prétentieuses facultés des sciences de l’éducation d’aujourd’hui.»

* * *

«Le bilan de la Révolution tranquille est largement négatif, même du point de vue des idéaux qui l’animaient. Les Québécois francophones contrôlent-ils davantage leur économie? Non, et le mondialisme est en train de balayer les maigres succès du Québec Inc. Le Québec a-t-il réalisé son indépendance? Non, et les jeunes sont de moins en moins nationalistes. Le Québec a-t-il obtenu plus d’autonomie dans la Confédération canadienne? Non, et les Canadiens anglais ne se donnent même plus la peine de se demander «What does Quebec want?» La langue française est-elle en meilleure posture? Non, le visage linguistique de Montréal est aussi anglophone qu’en 1920, bien que ce soit désormais au nom de l’ouverture sur le monde plutôt qu’au nom de l’empire britannique. Les Québécois sont-ils plus instruits? Non, ils sont plus diplômés, mais le niveau des études s’est effondré. Les Québécois sont-ils mieux soignés qu’à l’époque où les religieuses géraient les hôpitaux? Non, et le Dr Barrette n’améliorera pas les choses. La culture québécoise est-elle plus riche? C’est une question de goût, mais je préfère la Bolduc à Céline Dion et Soirée canadienne à Star Académie. Dans leur vie personnelle et familiale, les Québécois sont-ils plus heureux aujourd’hui qu’avant 1960? J’en doute.»


http://www.tradition-quebec.ca/2015/06/le-mythe-de-la-revolution-tranquille.html

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Document 2

Sur l'évolution des budgets et des dépenses publiques au Québec dans le contexte de la Révolution tranquille.

Titre : Le processus budgétaire au Québec
Guy Lachapelle, et al.

«...la progression fulgurante des dépenses de l'État québécois après 1960. En dollars courants, de 1960 à 1999, les revenus et les dépenses ont été multipliés par 76.»  «... la capacité d'agir de l'État s'est grandement accrue. Duplessis avait pris sept ans, de 1945 à 1952, pour doubler son budget total alors que dès 1965, le gouvernement Lesage a plus que doublé son premier budget, celui de 1961.» (p. 13)

«L'essence de la modernisation c'est le transfert de pouvoir de la société civile vers l'État»

«Le nombre d'ordinations de prêtres est passé de 117 en 1961 à 17 en 1987, le nombre de psychologues en pratique privée a, pour sa part augmenté en passant de 179 à 680 pour 100 000 habitants.»

«De 1961 à 1987, le taux de suicide par 100 000 habitants a bondi de 6,6 chez les hommes à 28,2» (p.19)


https://books.google.ca/books?id=DlKgxicE7UkC&pg=PA11&lpg=PA11&dq=budgets+r%C3%A9volution+tranquille&source=bl&ots=Jb3scnU6kF&sig=eg_1u4QmdWDPLiXX7GGj6B9W3mE&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjggamtwfzKAhUIej4KHXRDAfwQ6AEIODAE#v=onepage&q=budgets%20r%C3%A9volution%20tranquille&f=false

Document 3

Le nationalisme autonomiste hostile à toute intervention fédérale de Duplessis ne trouvera pas grâce auprès de ceux qui le suivirent dans la Révolution tranquille. Pourtant leur nationalisme s'inscrivait dans la même lignée, avec peut-être moins d'intransigeance dans l'interventionnisme fédéral. Pierre Fortin, se refuse à l'idée que le faible endettement du Québec par rapport à l'Ontario constituait un cadeau que Duplessis laissait à ses successeurs pour faciliter les investissements majeurs qui suivirent.

http://www.economistesquebecois.com/files/documents/at/35/txt-membres-du-cpp-pierre-fortin-11-mai-2010.pdf
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La Révolution tranquille et l’économie : où étions-nous, qu’avons-nous accompli, 
que nous reste-t-il à faire ?
Conférence présentée dans la série « La Révolution tranquille, 50 ans d’héritages »
à la Grande Bibliothèque, Montréal, 11 mai 2010
Pierre Fortin
Université du Québec à Montréal

« J’ai confiance que les Canadiens français rateront encore une fois le tournant. »
Pierre Trudeau (janvier 1960)

En 1960, après avoir pris si longtemps à se remplir, les écluses ont sauté. La Révolution tranquille a frappé le Québec comme un torrent. La citation qui apparaît ci-dessus indique que tous ne s’y attendaient pas. Où étions-nous ? On perçoit habituellement l’avènement de la Révolution tranquille comme sonnant le réveil économique du Canada français. (...) Mais l’idée que ça n’allait pas bien avant ne fait pas l’unanimité. Où étions-nous avant 1960 ? Mon confrère et ami Jean-Luc Migué a écrit, il y a 12 ans :
« De toute son histoire moderne, depuis la fin du 19e siècle, le Québec a vécu une croissance forte, parallèle à celle de l’Ontario. La période immédiatement antérieure à la Révolution tranquille se distingue même comme l’une des plus prospères de toute l’histoire. »

La figure 1 expose les deux inexactitudes que contient cette affirmation de Migué, qui n’a sans doute pas eu accès aux données aujourd’hui disponibles. La courbe trace l’évolution du rapport entre le revenu réel par habitant d’âge actif du Québec et celui de l’Ontario de 1926 à 1961. Quand ça baisse, le Québec fait moins bien que l’Ontario; quand ça monte, c’est le contraire. Premièrement, on y observe que, loin d’être parallèle à celle de l’Ontario, la croissance du Québec a subi une dégringolade magistrale pendant la Crise et la Guerre. En 1929, le Québec tirait de l’arrière de 10 % sur l’Ontario; en 1946, le retard du Québec avait grimpé à 21 %. Deuxièmement, il est vrai que, de 1946 à 1960, l’économie québécoise progressait bien dans l’ensemble, étant portée par l’expansion nord-américaine. Mais l’Ontario avançait aussi vite, de sorte que, sous le régime Duplessis, le Québec n’a jamais réussi à regagner le terrain perdu avant 1945.

La figure 2 indique que ce n’est pas la seule indication de la faiblesse comparative de l’économie québécoise de l’époque. En Ontario, le taux d’emploi global des 15-64 était passé de 59 % en 1931 à 63 % en 1961. Or, le Québec avait connu le mouvement 2 inverse : parti du même taux de 59 %, il avait au contraire chuté à 54 % en 1961. Cette baisse est considérable : en termes de 2010, cela équivaudrait à une perte de 160 000 emplois. La figure 3 complète le portrait de l’emploi en montrant que notre population active se féminisait, mais qu’elle le faisait plus lentement que l’Ontario, et avec un retard croissant à mesure que la décennie 1950 avançait. La pénurie d’emploi était flagrante. Elle fut par la suite l’une des grandes préoccupations du gouvernement Lesage. La sous scolarisation n’aidait pas.

Le tableau 1 établit qu’en 1960 seulement un tiers de nos jeunes adultes de 25 à 34 ans avaient un diplôme en poche, contre plus de la moitié en Ontario. Et seulement 5 % des jeunes de cet âge avaient un diplôme universitaire au Québec, soit moitié moins qu’en Ontario. Comme on sait – le tableau le confirme –, notre fréquentation scolaire avait commencé à augmenter dans les années 1950. Mais on voit bien que le retard à combler était encore très grand.

Le tableau 2, lui, montre qu’en 1961 la situation économique des « Canadiens français du Québec » n’était guère différente de celle des Noirs américains. Les hommes noirs complétaient 11 années à l’école, les « Canadiens français », 10 années, soit une de moins. Le salaire moyen des hommes noirs américains équivalait à 54 % de celui des hommes blancs américains; au Québec, le salaire moyen des hommes francophones unilingues équivalait à seulement 52 % de celui des hommes anglophones, bilingues ou unilingues. Lorsque l’écrivain Pierre Vallières nous a appelés « nègres blancs d’Amérique » en 1968, on l’a évidemment accusé d’exagérer. Mais, en fait, il clamait l’exacte vérité. La position relative des nôtres n’était pas meilleure que celle des Noirs américains. Il faut, de toute urgence, réhabiliter Vallières.

Comment les finances publiques du Québec se comparaient-elles à celles de l’Ontario à l’aube de la Révolution tranquille ? Le tableau 3 aide à y voir clair. Si on consolide les budgets provincial et municipaux – ce qui est nécessaire parce que les compétences n’ont jamais été exactement les mêmes dans les deux provinces –, on arrive à la conclusion, qui sera sans doute surprenante pour plusieurs, que l’État québécois taxait et dépensait un peu plus que son pendant ontarien en 1961. La dette accumulée par la province était cependant beaucoup moins lourde chez nous chez notre voisin. Fin 1961, elle équivalait à 14 % du revenu intérieur au Québec et à 21 % en Ontario. La conséquence au Québec était des infrastructures provinciales honteusement déficientes en santé, en éducation, en culture et en transport. On fait parfois valoir que le faible niveau d’endettement de la province serait une sorte de cadeau que Maurice Duplessis aurait fait aux révolutionnaires tranquilles. Il s’agit évidemment d’un sophisme. [mon surlignement]

Le cadeau de Duplessis fut le retard à investir dans ces infrastructures et les conséquences négatives que cela entraînait pour notre développement. Cadeau de Grec.

[Ma question : si la taxation était légèrement plus élevée au Québec qu'en Ontario, le taux d'endettement de l'État la moitié de celui de l'Ontario (avant 1961), le seul reproche que l'on peut faire à Duplessis c'est de ne pas avoir suffisamment ouvert le Québec aux marchés de l'emprunt, d'avoir été conservateur en gérant le Québec selon ses moyens. Dans ce cas, la confirmation de la mise au diapason du Québec aux marchés financiers nord-américains est implicite.Or, l'obsession d'aujourd'hui n'est-elle pas que le fardeau de la dette entrave le développement du Québec ? Que le fardeau fiscal sur la population est presque de moitié au service de la dette ? Qu.on nous oblige à une austérité plus ou moins sévère ? Le Québec est-il plus ou moins indépendant qu'il ne l'était sous Duplessis ?]

Résumé
En résumé, dans les années 1950, l’économie québécoise était portée par l’expansion nord-américaine et progressait à peu près au même rythme par habitant que l’économie ontarienne. Mais nos salaires et notre niveau de vie, qui avaient dégringolé antérieurement, restaient bien inférieurs et ne manifestaient aucun signe de rétablissement. Le taux d’emploi de nos hommes se détériorait et celui de nos femmes accusait un retard croissant sur celui des femmes ontariennes. Nos jeunes étaient terriblement sous-scolarisés. Le sort des francophones du Québec était comparable à celui des Noirs américains. L’État québécois n’était pas inactif, mais il sous-investissait gravement dans les infrastructures.


Document 5

On lira ici le point de vue de Jacques Beauchemin

http://www.ledevoir.com/culture/livres/334156/essais-quebecois-faut-il-en-finir-avec-la-revolution-tranquille


Document 6

«Face à l'étranglement financier dont le gouvernement du Québec fut victime en 1939, Duplessis, à son retour en politique en 1944, fit de l'autonomie fiscale une priorité. Il refusa en 1951 que le fédéral finance les universités québécoises et mit en place la commission Tremblay en 1953 pour dénoncer les ingérences fédérales dans le domaine des compétences du Québec.

Il y a 50 ans, face au déséquilibre fiscal, le gouvernement de Maurice Duplessis, à la surprise générale, faisait voter le 24 février 1954 un impôt provincial sur le revenu des particuliers de 15 % et exigeait d'Ottawa que cet impôt soit déductible de l'impôt fédéral.»

«Grâce à ce nouvel impôt créé en 1954, les grandes réformes de la Révolution tranquille furent rendues possibles.»

http://www.ledevoir.com/non-classe/60843/duplessis-face-au-desequilibre-fiscal-l-impot-quebecois-de-1954

vendredi 5 février 2016

À propos du «suprémacisme» anglo-saxon dans la problématique néo-française-québécoise

Une révolution tranquille «à l'envers» 
en Russie - les étonnantes proximités de Lionel Groulx et de Vladimir Poutine